En me promenant, il m’a été donné d’observer un être que, dans un élan d’autosatisfaction professionnelle, on qualifierait d’arboriste. Arboriste, donc, un noble titre pour un métier supposé prendre soin de ces pauvres arbres, ces symboles de vie, de sagesse, et, accessoirement, de feu de cheminée. Mais ce que j’ai vu ce jour-là, ce n’était ni plus ni moins qu’un bûcheron sous stéroïdes, taillant, coupant, tranchant à tout va, réduisant ces êtres majestueux en copeaux et en sciure. Le charcutier de la canopée, en somme.
Ce spectacle bucolique, d’une violence méthodique, m’a instantanément rappelé la morale discrètement désespérante du Philosophe Scythe de Jean de La Fontaine. Le bonhomme qui, sous prétexte de prendre soin d’un arbre, finit par le tailler avec un zèle tel que l’arbre en meurt. Mais aujourd’hui, sous mes yeux ébahis, nous allions bien plus loin dans cette chorégraphie macabre. Voilà donc un malheureux qui, dans sa quête pour « soigner » l’arbre, le réduit en copeaux, persuadé qu’il fait œuvre de bienveillance, avec la grâce d’un rhinocéros dans un magasin de porcelaine.
Plus de La Fontaine, place à une révision des grandes heures de l’histoire : ce n’était plus de l’entretien, c’était de l’éradication arboricole ! Une opération chirurgicale façon Aktion T4 pour peuplier, en quelque sorte. Et c’est là que l’esprit vagabond prend des chemins sinueux : cette scène apparemment anodine devient le miroir troublant de notre époque, où l’humanisme moderne, tout fier de ses progrès, semble soigner l’humain comme l’élagueur soigne l’arbre : en le charcutant méthodiquement sous prétexte de l’alléger de ses branches inutiles.
Nous voici donc dans une société où l’on croit fermement qu’il faut sculpter l’humanité pour la rendre plus parfaite, comme si l’Homo sapiens pouvait se transformer en Homo Ikea — à assembler soi-même, en suivant scrupuleusement un manuel d’instructions, certes, en suédois. Cela vous rappelle peut-être un certain moustachu autrichien qui pensait qu’en se débarrassant des « branches mortes », il améliorerait l’espèce humaine ? Ah, l’humanisme, ce concept merveilleux qui, mal compris, devient une scie électrique déguisée en cure de jouvence.
Rassurez-vous, chers contemporains, nous n’en sommes plus là. Désormais, sous couvert de progrès, c’est avec le sourire, des mots doux et des formules de politesse que nous infligeons à l’humain des souffrances d’une finesse inouïe. Le temps n’est plus à l’arbre vigoureux mais au bonsaï façonné de force. On coupe, on ajuste, on recoud si besoin est. Et si ça ne marche pas ? Bah, tant pis pour le patient ! Une erreur de coupe, comme ils disent, ça arrive.
Tout cela, bien sûr, pour son propre bien. Un humanisme version 2.0, où l’on prend tellement soin de l’individu qu’on en oublie que l’individu en question pourrait avoir un petit quelque chose contre l’idée de se voir si bien « soigné ». Quant aux autres… ils n’ont qu’à s’estimer heureux d’avoir encore une branche ou deux.
Telle est la douce folie de notre siècle : pour sauver l’homme, on l’éteint à petit feu.
Intro musicale bruit de tronçonneuse
(WHIRR)
Intro
Un jour que je marchais, l’esprit un peu bohème,
Je vis un arboriste, ah, quel drôle de spécimen !
Armé de sa machine, il taillait sans vergogne,
Les arbres affolés tremblaient sous sa besogne.
Couplet 1
« Je soigne la nature », qu’il disait fièrement,
En massacrant les branches avec acharnement.
Le bruit de sa machine couvrait les pleurs des feuilles,
Comme un boucher content qui prépare le deuil.
Couplet 2
Soudain je me souvins de ce conte ancien,
Du philosophe scythe au geste peu malin,
Qui pour tailler son arbre avec tant de science,
Le priva de sa sève, de toute son essence.
Refrain – ton mordant
Humaniste, humaniste, qu’ils disent en souriant (WHIRR)
Pendant que la scie taille dans le vivant
Humaniste, humaniste, le progrès fait des morts
Mais c’est pour ton bien-être, alors souris encore ! (Ha-ha-ha)
Couplet 3
Mais notre homme moderne va plus loin, mes amis,
Sa scie électrique danse, les troncs sont raccourcis.
« C’est pour votre bien-être », répète-t-il sans cesse,
Comme ces beaux discours qui cachent la bassesse.
Pont – le flow s’accélère
Garde-toi de la scie du Scythe humaniste !
Son sourire est doux mais son cœur est bien triste.
Il te parle de soin, de progrès, d’avenir,
Pendant que sa machine prépare le pire.
Couplet 4 – rythme plus saccadé
Dans nos sociétés modernes, on fait pareil pourtant,
On taille dans l’humain pour le rendre « performant ».
Start-up nation oblige, faut être rentable,
Comme un bonsaï forcé sur une belle table.
Refrain – ton mordant
Humaniste, humaniste, qu’ils disent en souriant (WHIRR)
Pendant que la scie taille dans le vivant
Humaniste, humaniste, le progrès fait des morts
Mais c’est pour ton bien-être, alors souris encore ! (Ha-ha-ha)
Couplet 5
L’humaniste à la scie te veut du bien, mon frère,
Il coupe tes racines pour te rendre plus fier.
Version 2.0 du soin thérapeutique,
Où l’amour du prochain devient systématique.
Couplet 6 – montée en intensité
Plus besoin de führer ni de grand manitou,
La bureaucratie sourit en serrant le cou.
C’est pour ton bien qu’on taille, qu’on coupe et qu’on élague,
Pendant que ton esprit dans le vide divague.
Refrain – ton mordant
Humaniste, humaniste, qu’ils disent en souriant (WHIRR)
Pendant que la scie taille dans le vivant
Humaniste, humaniste, le progrès fait des morts
Mais c’est pour ton bien-être, alors souris encore ! (Ha-ha-ha)
Couplet 7 – punchlines
Homo sapiens sapiens devient Homo formatage,
Notice de montage incluse dans le package !
Si t’as perdu des pièces dans l’opération,
C’est juste un dommage collatéral de l’évolution.
Couplet 8 – flow agressif
Maintenant c’est clean, aseptisé, parfait,
Plus une branche morte, plus un seul défait.
L’humanisme moderne a fait son œuvre enfin,
L’homme est bien taillé, mais l’homme n’est plus rien.
Refrain – ton mordant
Humaniste, humaniste, qu’ils disent en souriant (WHIRR)
Pendant que la scie taille dans le vivant
Humaniste, humaniste, le progrès fait des morts
Mais c’est pour ton bien-être, alors souris encore ! (Ha-ha-ha)
Couplet 9 – cynique
On t’dira « Reste positif ! » sous la lame qui coupe,
« C’est pour ton bien ! » qu’ils disent en remplissant leurs coupes.
L’arboriste sourit, sa mission accomplie,
L’arbre est bien mort mais c’était pour la vie !
Outro – retour au flow posé, mais cynique
Alors garde-toi bien du Scythe humaniste,
De sa scie qui danse et de son air si triste.
Car pour sauver l’homme de sa condition,
Il l’éteint doucement, avec tant d’attention.