Catégories
L'art de rentrer dans le lard du sujet Les essais de Pascal Rivière Mais où va-t-on ? - Indignation et rébellion

De l’Ananas sur la Pizza et Autres Catastrophes Mondiales

Dans ce monde en plein naufrage, où les vagues de l’absurdité submergent nos esprits, une lueur d’obscurité persiste. L’humanité, ce navire ivre, conserve ses caprices essentiels. Car en dépit des mers qui engloutissent nos terres, des cieux qui se courroucent, et des démocraties qui se transforment en farces macabres, une question cruciale subsiste : l’ananas sur la pizza.

En Italie, patrie sacrée de la pizza, l’incorporation de cet ananas est perçue comme une hérésie gastronomique, une offense à la papille insoutenable. Mais ne jetons pas toutes nos tomates sur nos amis italiens, car le reste du monde nage également dans les méandres de l’absurdité.

Imaginez, un instant, que dans notre France bien-aimée, terre de révolution et de raffinement, on substitue les bustes de Marianne par ceux de Marine… Excusez-moi, je m’égare. L’extrême-droite au pouvoir en Italie ? Un simple grain de sable. Les océans qui grignotent nos côtes ? Une brise d’été. Mais l’ananas sur la pizza, voilà le vrai scandale !

Pendant que l’Europe, cette vieille dame qui perd son souffle, vire du bleu au marron, nous, les intellectuels de zinc, les philosophes de comptoir, nous nous engouffrons dans des débats cruciaux : chocolatine ou pain au chocolat ? Voilà la question qui mérite toute notre ferveur, notre passion, notre verve. Les politiciens jouent avec le feu, mais tant que notre baguette reste croustillante et notre café brûlant, nous sommes bien.

Cependant, mes chers compatriotes, n’oublions pas que dans ce cirque de l’absurdité, nous sommes les spectateurs, les acteurs, parfois même les clowns. Lorsque nos cités côtières se noieront et que le thermomètre indiquera 50 degrés à l’ombre, nous pourrons trouver du réconfort en disant : « Au moins, notre pizza est indemne d’ananas. » Et dans un soupir d’apaisement, nous comprendrons que les véritables questions de notre époque sont loin de celles que nous pensions.

Mais soyons justes, ne condamnons pas trop sévèrement nos amis italiens, ni nous-mêmes d’ailleurs. Pendant que nous débattons de l’ananas sur la pizza, plus de 20 000 âmes ont trouvé la froideur des vagues depuis 2014, cherchant refuge sur nos côtes. L’Europe, cette forteresse de la civilisation, semble aveugle face à ces tragédies, alignant les destins brisés comme des perles sinistres sur un collier d’inhumanité.

Ah, l’Europe ! Elle a réussi le prodige de transformer la mer Méditerranée, berceau des civilisations, en un cimetière aquatique. Antonio Vitorino de l’OIM parle de « normalisation des décès ». Pourtant, ces tragédies ne semblent pas ébranler notre conscience collective autant que la querelle chocolatine contre pain au chocolat.

« On évoque la pire tragédie maritime des dernières années en Grèce », dit-on. Mais que sont ces tragédies face à la grande question de savoir si l’ananas a droit de cité sur une pizza ? Alors que les migrants sont refoulés, écartés par des politiques dissuasives, nous, citoyens du Vieux Monde, nous déchirons sur des nuances pâtissières. Les politiques migratoires européennes sombrent dans l’abîme, mais notre talent pour l’indignation à l’égard de l’insignifiant demeure, lui, remarquablement à flot.