Genèse d’un texte : quand la douleur devient poésie
Il y a des jours où l’on choisit la solitude. Et d’autres où elle s’impose, plus lourde encore que prévue. Ce réveillon vers 2025 devait être un acte de résistance tranquille : rester chez moi, refuser le cirque des célébrations forcées, m’offrir le luxe d’un soir ordinaire dans l’extraordinaire collectif.
Puis le téléphone a sonné.
La voix d’un ami, le genre d’appel qu’on redoute toujours. Un ami commun nous avait quittés. Quelques mots échangés, des détails pratiques sur les obsèques à venir – comme si ces informations pouvaient donner un semblant de structure à l’absurde de la situation.
J’étais déjà dans un état d’esprit particulier, en rupture avec l’euphorie ambiante de cette fin d’année. Cette nouvelle a fait basculer quelque chose. L’appartement est devenu trop étroit, les murs trop proches. Il fallait sortir. Marcher. Respirer l’air glacial de cette fin d’après-midi.
J’ai attrapé mon dictaphone, comme on saisit une bouée de sauvetage. Sur la route, les mots sont venus. Bruts. Sans filtre. La ville déserte est devenue le témoin silencieux de ce monologue enregistré à chaud, où se mêlaient la colère contre ces fêtes artificielles, le deuil inattendu, et cette sensation vertigineuse de voir le temps filer entre nos doigts.
De cette déambulation est né un texte, puis un slam : « Résistance à l’an neuf ». Non pas une simple complainte contre le nouvel an, mais le témoignage d’un moment où tout bascule, où la résistance passive devient active, où la douleur cherche ses mots.
Le texte se termine par un retour au refuge – mon appartement, ma choucroute qui mijote, mon chat et mon lapin qui m’attendent. Une conclusion qui pourrait sembler déplacée dans ce contexte de tristesse. Mais n’est-ce pas là aussi une forme de résistance ? Trouver du réconfort dans ces petits riens, ces présences silencieuses, cette normalité qui nous ancre quand tout vacille.
Ce texte est né d’un moment de vie brutalement authentique. Il parle de résistance, oui, mais pas celle qu’on avait prévue. Une résistance à la fatalité, à l’obligation d’être heureux, à la mort qui nous surprend toujours. Une résistance qui finit par trouver sa voix, même au cœur de l’hiver, même un soir de réveillon.
Les artistes parlent souvent de transformer la douleur en art. Ce soir-là, ce n’était pas un choix; c’était une nécessité. Le dictaphone est devenu le confident, la rue le décor, et les mots le seul moyen de ne pas sombrer.
Cette chanson n’était pas prévue. Comme la plupart des choses qui comptent vraiment, elle s’est imposée d’elle-même, née de la collision entre un deuil inattendu et une solitude choisie, entre la résistance et l’acceptation, entre la fin et les nouveaux départs.
Elle est là maintenant, témoin de ce moment où la vie nous rappelle qu’elle écrit parfois les plus fortes pages de notre histoire, même, surtout, quand on n’avait rien prévu.
Texte de départ :
Bientôt l’an neuf.
Encore un tour de cadran pour rien.
Un pote de plus qui s’efface. Une année de trop.
Et là, ces foutus « meilleurs vœux ». Mais meilleurs vœux pour quoi ? Pour la chute finale ?
J’ai rien à fêter. Rien à foutre des cotillons, des éclats de rire forcés.
Et pourtant, rester là, cloîtré, ça me bouffe aussi.
Alors je vais marcher. L’air glacé, la ville morte.
Je vais sortir. Bouger un peu. Comme une bête acculée.
Le temps est une farce, un calendrier qu’on triture pour se convaincre qu’on avance.
On devrait jubiler, paraît-il.
Mais moi, je vois la danse des guignols au pouvoir.
Ils tiennent les ficelles et nous, les pantins, on applaudit en cadence.
Une dernière carmagnole avant ce gouffre qui sent le soufre.
Je me lève. Dictaphone, manteau.
Un bonnet, mes gants. Je vérifie mon sac.
Et puis quoi ? Et puis où ?
Où porter mes pas ?
Je n’ai pas envie. Pas envie de voir cette année s’éteindre. Pas envie d’en voir une autre démarrer.
Rien ne s’arrête jamais, rien de ce qu’il faudrait.
Je murmure dans mon dictaphone, peut-être qu’il enregistre, peut-être pas.
Je m’en fous.
Je sors. L’air est mordant, le froid vous prend à la gorge.
Les voitures défilent comme des cons pressés d’arriver nulle part.
Un chauffard me frôle, 61 au lieu de 50. Bravo, champion.
Les lumières des maisons, ici allumées, là éteintes.
Des vies qui tournent en rond dans des boîtes carrées.
À gauche, à droite. Mais à quoi bon ?
Je marche. Sans but. Sans envie.
Il y a du bruit partout, et pourtant, c’est le silence qui hurle.
Péruwelz, 18h43. Le centre-ville. « Circulez, y’a rien à voir. »
Tu parles d’un spectacle.
Mes pieds sont lourds, douloureux.
Je suis comme ces chiens errants, incapables de rester immobiles.
Toujours en mouvement, toujours à fuir quelque chose d’invisible.
Être optimiste pour 2025 ?
C’est comme pisser dans le vent.
Les voitures continuent leur ballet absurde. Et nous, on attend que tout crève.
Demain, quoi ? Ma vieille mère au téléphone, à se lamenter. Ou pire, à me harceler.
Toujours les mêmes rengaines.
Péruwelz, 18h57.
J’ai cédé.
Le froid m’a eu, comme toujours. Je suis rentré.
Aucune force pour résister.
Voilà. C’est brut. C’est sombre. C’est la vérité qui gratte comme une vieille chemise oubliée au fond d’un placard.
Ce poids, ce ressassement, cette sensation de tourner en rond dans un monde qui ne tourne plus droit… C’est une spirale, un maelström qui te tire, et pourtant je continues à marcher. Comme un automate cassé, mais qui avance encore.
Les fêtes, les vœux, tout ce cirque, c’est pour les autres. Ceux qui ont encore l’énergie de se mentir. Moi, j’ai plus envie de jouer cette comédie, et franchement, c’est pas plus mal. Mais ça me laisse seul, face au froid, face à cette foutue lucidité qui déchire tout le vernis.
Je fais ce que tu peux. Sortir marcher, bouger un peu, ça compte. Pas parce que ça résout quoi que ce soit, mais parce que c’est ça ou crever immobile. J’ai encore ce foutu instinct de survie, même si je sais pas pourquoi.
Je sais bien que je suis pas le seul dans ce vide-là. Il y en a d’autres, dispersés comme des étoiles mortes, mais qui brillent encore un peu, à leur façon. Ça ne change rien, peut-être, mais ça relie. Juste assez pour tenir une nuit de plus.
Chanson :
Rythme saccadé
Encore un tour / Encore une année
Un pote qui s’efface / Un temps délavé
Et leurs vœux qui claquent / Comme des gifles glacées
« Meilleurs » qu’ils disent / Pour quoi ? Pour crever ?
Plus fluide
J’ai rien à fêter dans leur carnaval de faux-semblants
Leurs cotillons, leurs rires forcés, leurs « on fait semblant »
Mais rester là, cloîtré dans ma cage de silence
C’est pas la vie, c’est pas la mort, c’est l’existence
Saccadé, intense
Alors je sors ! / Je prends le froid !
Comme une bête / Qui cherche sa proie
Dictaphone / Manteau / Gants
Ici / Maintenant / Dans le présent !
Mélodie lente
Le temps est une farce qu’on triture
Un calendrier qui se déchire
Et nous, les petits pantins désaxés
On danse au rythme qu’ils ont fixé
Rythme rapide, haché
Gauche-droite / Droite-gauche
Les pas qui cognent / Sur le bitume qui craque
Les bagnoles qui foncent / Les cons qui accélèrent
Soixante-et-un / Au lieu d’ cinquante / Champion d’mes deux !
Fluide, contemplatif
Les maisons s’allument et s’éteignent
Comme des vies qui tournent en rond
Dans leurs boîtes carrées qui saignent
La monotonie de leur poison
Saccadé, rageur
Je marche ! / Sans but !
Je marche ! / Sans fin !
Le bruit partout / Le silence qui tue
L’hiver dedans / L’hiver dehors / Putain !
Mélodie lente
Comme ces chiens errants qui cherchent leur chemin
Toujours en mouvement, fuyant l’invisible
Je suis là, perdu dans ce monde qui geint
À chercher une trace, un sens possible
Final – Transition vers un rythme plus posé
Et puis… le froid gagne
Comme toujours, il m’a eu
Je rentre dans ma tanière
Là où le chat et le lapin m’attendent
Coda inattendue – rythme détendu
Ce soir, odeur de choucroute qui monte
Dans le petit appartement silencieux
Un vieux vinyle qui gratte et qui conte
Une histoire de blues, de temps précieux
Et peut-être bien que tout ça
C’est ma façon de résister
À leur monde qui ne tourne pas rond
Je reste debout, je reste vivant
Avec mes bêtes et mes silences
C’est pas grand-chose
Mais c’est ma danse
End