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Au pays des collines

Du rêve à la chanson : un voyage au Pays des Collines

Dans la douce confusion d’un réveil, parfois les souvenirs nous visitent avec une intensité particulière. C’est précisément ce qui s’est produit un matin, quand une rêverie semi-consciente a fait resurgir tout un pan de mémoire lié à la mythique chaussée Brunehaut. Cette antique voie romaine, qui serpente de Mainvault vers Ellezelles et Flobecq jusqu’au lieu-dit « Le Paradis », est devenue le fil conducteur d’une création poétique puis musicale.

De la rêverie au poème

Ce voyage onirique matinal a d’abord pris la forme d’un long texte poétique évocateur. Les images y affluent comme autant de flashs mémoriels : une boutique de chaussures aux étagères patientes, des grands-parents saisis dans leur quotidien : lui avec sa voix marquée par la maladie, elle penchée sur ses « bondieuseries ». Le texte déroule une série de tableaux vivants : Finette la chienne qui jappe sous les images publicitaires du chocolat Jacques, le four à pain où le grand-père façonne le temps autant que la pâte, la cave où il murmure aux chicons…

Le poème oscille entre la tendresse des souvenirs et l’amertume d’une perte, entre la description précise d’un monde disparu et la rage contenue face à sa disparition. Il se termine sur une note méditative sur la nature même du souvenir, « comme un reflet sur l’eau avant qu’il ne s’efface ».

Du poème à la chanson

Ce texte riche en émotions et en images appelait naturellement une adaptation musicale. Après avoir envisagé plusieurs directions stylistiques, dont une version rap aux sonorités électroniques expérimentales, c’est finalement vers la chanson française traditionnelle que s’est orienté le projet. Plus précisément, vers le style si caractéristique de Charles Trenet, artiste particulièrement apprécié du grand-père et du père évoqués dans le texte.

Cette version finale, intitulée « Le Pays Vert des Souvenirs », transforme la mélancolie du poème original en une douce nostalgie plus légère, plus dansante, tout en préservant la force évocatrice des images. Le texte a été restructuré en couplets et refrains, adoptant les codes de la chanson française des années 40-50 mis en électro swing, avec son élégance formelle et sa capacité à transformer le quotidien en poésie.

Un hommage multiple

Cette création devient ainsi un hommage à plusieurs niveaux : au Pays des Collines et à son patrimoine, aux êtres chers disparus, à une époque révolue, mais aussi à une certaine tradition de la chanson française. La boucle est bouclée quand on réalise que cette œuvre, née d’une rêverie matinale remontant la chaussée Brunehaut vers Le Paradis, unit dans un même élan la mémoire familiale et le patrimoine culturel.

La chanson, disponible sur YouTube, perpétue ces souvenirs et les transforme en un témoignage touchant de la vie dans le Pays des Collines, tout en rendant hommage à ceux qui ont façonné ces lieux de leur présence.

Texte

Au Pays vert, au pays des collines,
Quand je remonte la vieille chaussée Brunehaut,
Cette route ancestrale qui relie Mainvault à Ellezelles,
Cette voie romaine qui mène au Paradis
Frôlant les pierres muettes de Wodecq,
Les souvenirs, tapis dans les plis du temps, s’éveillent.

Dans ce pays de douces ondulations,
Une route discrète serpente
À travers les vallées de ma mémoire.
Là, dans une maison de rangée à Flobecq,
Mon grand-père, sa voix râpeuse comme un cancer,
Et ma grand-mère, penchée sur ses bondieuseries,
Habitent encore mes pensées.

Leur boutique de chaussures aux étagères patientes,
La pièce de vie derrière le comptoir,
Où le café danse doucement sur le poêle,
Libérant des volutes d’odeur qui collent à la peau des souvenirs.

Une vieille radio chuchote sur un haut buffet fatigué,
Et quelques bandes dessinées effilochées s’éparpillent,
Comme les fragments d’une enfance dispersée.
Finette, la chienne au ventre débordant,
Jappe sous les images de chocolat Jacques.

Je goûte à nouveau le chocolat fourré,
Niché dans l’étagère, ses images, trésors minuscules.
Une petite table, usée, un tiroir grinçant,
Une sonnette qui vibre encore des appels d’autrefois.

La cave, refuge souterrain où grand-père murmure aux chicons,
Cette longue cuisine comme un couloir où s’efface la lumière.
Et le four à pain sous l’auvent,
Où je vois mon grand-père s’agiter,
Épaules courbées sur la pâte,
Comme s’il façonnait du temps.

Un poulailler au fond du jardin,
Caché dans les herbes folles,
Un vieux téléphone mural interphone qui pend,
Comme un témoin recyclé d’une époque disparue.

La salle de télévision, cocon sombre,
Où j’éclatais de rire devant Laurel et Hardy,
Rires résonnant comme un écho au téléviseur du professeur Tournesol,
Dans les pages tremblantes des Aventures de Tintin.

Et puis, au détour d’un chemin,
La voix de mon père qui s’élève,
File entre les haies, glisse sur les pavés.
Il raconte, il revit sa jeunesse,
Ses folies, ses chutes,
Un coup de mozère pour abréger la vie d’une poule,
Un saut périlleux depuis un tandem,
Et ce moulin de Wodecq, refuge de son enfance.

Chaque pas sur cette route ravive les plaies du présent,
Les égratignures qui s’ouvrent et grondent.
Misérable mère qui a tout bazardé,
Pour des cendres !

Mais les souvenirs affluent,
Insistants, têtus,
Et tentent de me consoler,
Me rappelant que seuls survivent en nous
Ceux qui ont vécu dans nos mémoires.

Le reste ?
Des décors en carton,
Support fragile pour ceux qui ne sont plus.

Ces éclats de mémoire,
Ces filaments de relations éteintes,
Je les couche ici,
Dans la trame serrée des mots,
Comme on fige un reflet sur l’eau
Avant qu’il ne s’efface à jamais.

Chanson

[Intro musicale] [Couplet 1]
Au pays vert, au pays des collines,
Je remonte la Brunehaut, vieille câline,
La route murmure sous mes souliers,
Des histoires d’hier, prêtes à danser.


[Refrain]
Oh, les souvenirs, doux compagnons,
Ils fredonnent au creux des maisons.
Un parfum de café, un brin de chanson,
Tout se balance en un doux frisson.


[Couplet 2]
Dans la boutique aux chaussures tranquilles,
Les étagères patientent, les heures défilent.
Grand-papa transpire sous la poussière,
Grand-maman prie, le cœur en lumière.


[Pont]
Finette trottine, ventre en balade,
Les images de chocolat font la parade.
Le four à pain s’échauffe au matin,
Et le vieux téléphone rêve au lointain.


[Refrain]
Oh, les souvenirs, doux compagnons,
Ils fredonnent au creux des maisons.
Un parfum de café, un brin de chanson,
Tout se balance en un doux frisson.


[Couplet 3]
Papa s’élance, cascade et pirouette,
Rit au moulin, s’égratigne quelle fête.
Les poules s’envolent, le temps papillonne,
Et dans mes pas, son histoire résonne.


[Pont]
Ah, la cave et les chicons secrets,
La cuisine s’étire, la lumière se tait.
Tout s’emballe, tout se mêle,
Dans ce théâtre aux décors fidèles.


[Refrain]
Oh, les souvenirs, doux compagnons,
Ils fredonnent au creux des maisons.
Un parfum de café, un brin de chanson,
Tout se balance en un doux frisson.


[Outro]
Et moi, j’écris, j’écris sans fin,
Ces notes posées sur mon chemin.
Dansent les souvenirs, tendres refrains,
Comme une chanson de grand-papa, c’est bien.